La mobilité post-coronavirus : nouvelle heure de gloire pour l’automobile ?

(c) Stefan Dewickere – Fietsberaad Vlaanderen

Dire que la crise du Covid-19 a secoué le monde de la mobilité serait un euphémisme. La période de confinement a d’ailleurs mis en lumière deux tendances apparemment paradoxales. Le vélo et la marche sont plus populaires que jamais, entraînant les villes et communes à prendre des mesures concrètes comme la mise en place de pistes cyclables supplémentaires ou en introduisant la zone 30 en ville. Dans ce contexte, la voiture individuelle semble donc faire un pas de côté. A l’inverse, il semble que le processus de déconfinement s’accompagne d’un retour à grande échelle de la voiture particulière. Un double développement est donc à l’oeuvre. Dans le premier cas, l’Ancien Régime du tout à la voiture semble définitivement enterré. Si on regarde le second cas, on constate qu’un renouveau se dessine, rappelant l’époque de l’euphorie automobile des années 60.

Passé une lecture pressée, il apparaît que ce constat n’est pas aussi contradictoire qu’il en a l’air au premier abord. Il pourrait plutôt représenter les deux faces d’une même pièce. Cette double-tendance ressort déjà dans les premières études sur les comportements de déplacement (1) (2). On remarque que si le recours à la voiture individuelle reste dominant et relativement stable, le vélo fait quant à lui une belle percée dans les intentions de déplacement. Les transports publics et aux autres formes de transports collectifs ou de mobilité partagée comme le covoiturage et l’autopartage semblent au contraire être des victimes de la crise sanitaire, à cause de la contrainte imposée par la distanciation physique. Le fameux principe “STOP” (3) est désormais amputé de son “O” au profit d’une structure “STP” dans laquelle les marcheurs, les cyclistes et les autosolistes forment la majorité.

Le “P” de la voiture privée retrouve-t-il donc une place prépondérante dans ce nouveau paradigme? Est-il possible de renforcer le principe STOP en y intégrant la mobilité partagée? La crise sanitaire actuelle offre une occasion toute trouvée de réfléchir à la manière dont nous nous déplaçons et à son impact. Quelles sont les pistes ouvertes ? Que pouvons-nous faire de différent? Une mobilité équitable et un cadre de vie de qualité doivent être les moteurs de ces nouvelles réflexions.

Pas à pas

Comment aborder la mobilité dans l’ère post-corona ? Le télétravail et les autres formes de travail à distance ont redoré leur blason et vont certainement s’ancrer à l’avenir de manière plus structurelle dans de nombreux secteurs. Pour ceux qui ne peuvent se permettre une telle transition, il y a un réel risque d’effet domino. Les usagers des transports publics seront peut être ainsi davantage enclins à covoiturer alors que les covoitureurs préféreront quant à eux privilégier la sécurité de leur propre véhicule. Les transports publics et le covoiturage seront donc très probablement les laissés pour compte de la crise sanitaire. Les véhicules et vélos partagés vont également être confrontés à des défis majeurs. En bref, le Coronavirus rabat les cartes de la mobilité, en revenant au sommet de la pyramide inversée, c’est-à-dire la voiture privée.

Source: SHARE-North project

Le principe STOP est parfois comparé à l’échelle de Lansink, qui hiérarchise les méthodes d’élimination des déchets. A la manière de ce modèle, le principe STOP décrit les étapes à franchir pour un transfert modal vers une mobilité durable. Ainsi, passer de la voiture privée à la marche ou au vélo ne coule pas de source. Des étapes intermédiaires comme le covoiturage ou l’autopartage, par exemples, peuvent constituer des étapes plus réalisable dans ce processus de transition. Le changement est progressif, mais non moins fondamental.

Dans la stratégie déconfinement, le recours au vélo est encouragé afin d’éviter de surcharger les transports publics. On peut imaginer que le covoiturage pourrait jouer un rôle similaire pour les plus longues distances, grâce à des bulles de covoiturage. Dans ce contexte, il est également important de souligner que la mobilité partagée n’est pas seulement une solution pour le premier ou le dernier kilomètre. Par exemple, une voiture partagée est souvent utilisée pour l’ensemble du trajet lors d’un déplacement extra-quotidien (4). La mobilité partagée n’est donc pas exclusivement liée à l’intermodalité (c’est-à-dire l’utilisation de plusieurs modes de transport au cours d’un même déplacement). Cela rend l’ombre du Covid-19 un peu moins grande. D’autant plus que les mesures d’hygiène nécessaires – qui ne diffèrent pas sensiblement d’une visite au supermarché ou de l’utilisation des transports publics – limitent les risques sanitaires.

Du STOP au post-STOP

Source: Netwerk Duurzame Mobiliteit

La période post-corona offre des possibilités de travailler sur un principe post-STOP. Si ce concept est maintenant suffisamment mature, on constate qu’il n’est toujours pas correctement appliqué dans la pratique. Un remaniement de ce principe est donc une opportunité à saisir. Le Netwerk van Duurzame Mobiliteit – organisation qui fédère différents acteurs de mobilité – a récemment indiqué qu’un affinement et un élargissement du principe STOP seraient souhaitable (5), en intégrant par exemple une réflexion sur la place de la mobilité partagée. Après tout, la mobilité partagée est un maillon essentiel de la chaîne de la mobilité durable et qui fait cruellement défaut dans la version actuelle du principe STOP.

Quel retour à la normale?

Le retour en force de la voiture privée comme pivot central de notre système de mobilité n’est pas une piste fertile. L’occupation excessive de l’espace public, la pollution de l’air et l’insécurité routière ne sont que quelques-uns des effets secondaires néfastes au tout à la voiture. Le report modal vers la voiture individuelle aurait en outre un effet social négatif pour les personnes ne possédant pas de voiture. Certaines catégories de population pourraient ainsi se retrouver délaissées et forcées à l’immobilisme.

Le focus sur la santé publique a eu pour corollaire une attention portée à la mobilité. La période de confinement et la diminution du recours à la voiture ont en effet permis à beaucoup de prendre conscience des effets délétères de cette dernière sur la qualité de l’air, pourtant primordiale pour les formes actives de mobilité comme la marche ou le vélo.

Oser un nouveau paradigme

La crainte de la contamination menace de faire de la mobilité une affaire individualisée où les autosolistes reviendraient grands gagnants. Mais est-ce inévitable ? Les transports collectifs et la mobilité partagée sont-ils les grands perdants de cette bataille contre le virus? Du côté politique, les choses commencent à bouger. La ministre flamande de la mobilité, Lydia Peeters, a indiqué souhaiter se concentrer sur les transports publics et la mobilité partagée (6).  Même son de cloche à Bruxelles où la ministre régionale de la Mobilité Elke Van den Brandt a annoncé que le réseau de pistes cyclables allait bientôt s’agrandir (7). En Wallonie, la ville de Mons prévoit d’accorder davantage d’espace aux piétons en introduisant la zone 20 dans le centre-ville (8). Après tout, il ne sert pas à grand-chose de rester dans les embouteillages en direction d’une ville qui redonne l’espace public aux cyclistes et aux marcheurs. Les villes devraient suivre ce mouvement, mais avec une approche intégrée (9). Rendre les transports collectifs et partagés attractifs est indispensable dans le cadre d’une telle vision globale.

A contre-courant de l’impression d’un retour en masse vers la voiture, le contexte actuel pourrait apporter un changement fondamental dans le domaine de la mobilité. Pour que l’autosolisme ne nous fasse pas une queue de poisson, misons plutôt sur la flexibilité offerte par l’intermodalité et la multimodalité.

En gardant à l’esprit Thomas Kuhn et David Banister, la crise du Covid-19 peut être le déclencheur d’un véritable changement du paradigme, du paradigme de l’automobilisme à celui de la proximité. La densification, la mixité des fonctions et la mobilité durable sont au cœur de cette démarche. L’immobilisme forcé que l’on connaît a pour avantage de nous remettre sur la bonne voie, en faveur d’une mobilité plus durable et d’un meilleur cadre de vie. Saisissons cette opportunité!

– Arne Stoffels

Sources:
(1) Voir “Flatten the mobility curve – Enquête sur les comportements de mobilité des Belges après la crise sanitaire du Covid-19”, Espaces Mobilités/Maestromobile, 2020 https://infogram.com/enquete-movid-19-1h7z2lgy873g4ow?live&fbclid=IwAR2ivG1hA8RXLj_FszU6ey-e4PIU9l-oZJmw6o3xEjakjojQJephSUY_hp4
(2) Voir aussi “Crise du COVID : des perturbations et des défis inédits pour la mobilité d’aujourd’hui et de demain”, Transitec, Avril 2020 https://transitec.s3.eu-central-1.amazonaws.com/uploads/public/5e9/f44/396/5e9f443961d29222213401.pdf
(3) Le principe “STOP” hiérarchise les différents modes de déplacement pour construire une mobilité durable. L’acronyme néerlandais STOP donne la priorité aux piétons (Stappen), puis aux cyclistes (Trappen), ensuite aux transports publics (Openbaar vervoer) et enfin, aux véhicules privés (Privévervoer).
(4) 
Meuleman, A. (s.d.). Shared mobility should be a part of every SUMP
(5) Netwerk Duurzame Duurzame Mobiliteit (2020). STOP-principe: Stappers, Trappers, Openbaar vervoer en Privé gemotoriseerd vervoer.
(6) https://www.lydiapeeters.be/minister/vlaming-moet-ook-de-deelfiets-op/
(7) https://www.rtbf.be/info/regions/detail_sortie-de-confinement-a-velo-bientot-40-kilometres-de-pistes-cyclables-supplementaires-en-region-bruxelloise?id=10491673
(8) https://www.dhnet.be/regions/mons/le-centre-ville-de-mons-limite-a-20-kmh-5ebefb68d8ad581c54e69691
(9) International Transport Forum (2020). Covid-19 Transport Brief. Re-spacing our cities for resilience