La voiture électrique va-t-elle sauver la mobilité?

Les embouteillages et leur impact sur la qualité de vie et de l’environnement étaient déjà au cœur des préoccupations des belges dans les années 70!(1) C’est d’ailleurs ce qui a permis à l’idée folle du covoiturage de germer dès 1975 afin de rendre la mobilité plus efficace.

Aujourd’hui, c’est au tour de la voiture électrique d’être présentée comme l’allié privilégié pour relever les défis du secteur automobile et, par association, de la mobilité. Beaucoup d’entreprises y voient d’ailleurs une réelle solution et adoptent de nouvelles modalités : elles mettent en place des bornes de recharge, transitent la flotte de l’entreprise vers l’électrique, invitent à la transition dans les foyers… Les projets gouvernementaux vont jusqu’à encourager la fin des voitures de société à moteur thermique. Dans quelques années, l’avantage fiscal ne serait plus appliqué qu’aux véhicules dits « propres », c’est-à-dire ne produisant pas d’émissions polluantes lors de leur utilisation. 

 A l’occasion de sa mise au vert annuelle, Mpact en a profité pour se questionner sur la voiture électrique.

L’électrique répond de manière générale à beaucoup de défis actuels: il n’y a pas ou peu d’impact là où l’électrique est utilisé, son utilisation réduit les émissions de gaz à effet de serre au niveau local, il est compatible avec toutes les sources d’énergie primaire et est déjà sur le marché. Enfin – et non des moindres –  il répond aux problèmes d’épuisement du pétrole! Mais il épuise d’autres ressources, ce qui nous ramène à la question des conséquences, notamment sur les populations et écosystèmes dans lesquels ces matières sont produites. 

La voiture électrique : un véhicule plus vert?

La protection de l’environnement est souvent présentée comme l’objectif principal du passage à la voiture électrique. Pourtant, l’environnement, tout comme la planète, n’a pas de frontières et se comporte comme une seule entité. On ne peut donc pas, sous prétexte que la voiture électrique n’a presque pas d’impact en Belgique, ignorer les conditions de production qui l’ont amenée jusqu’à nous. Le gros point noir de la voiture électrique c’est sa batterie, à base de lithium, cobalt ou encore de manganèse. Leur extraction et transformation détruisent et déstabilisent les écosystèmes en Bolivie, au Chili, au Congo, en Chine pour les métaux rares …, et met en danger les populations locales : travail des enfants ou maladies pulmonaires graves liées à l’inhalation de particules de métaux lourds (2) (3).  Ce constat est valable autant pour le secteur industriel que pour le secteur artisanal.

La voiture électrique doit également faire face à d’autres défis : la technologie de recyclage des batteries, encore insatisfaisante à l’heure actuelle; le renforcement de la fracture sociale liée à la motorisation des ménages, puisque seuls les foyers les plus aisés pourront se permettre un tel investissement; ou encore le fait que la production d’énergie électrique à ce jour en Belgique n’atteint pas les 50%. Cela implique que, même si les émissions de la voiture sont quasiment neutres, son approvisionnement, quant à lui, ne l’est pas. 

Quel impact sur la mobilité ?

Pour Mpact, au-delà de ne pas encore répondre à la problématique environnementale, la voiture électrique ne répond pas non plus aux problèmes de mobilité des belges. Pire, elle risque même d’engendrer un effet rebond. En pensant adopter une mobilité plus “verte”, les automobilistes pourraient en effet plus volontiers délaisser la marche ou les transports en commun, au prétexte que le véhicule utilisé serait neutre en émissions. Mais, que le véhicule soit électrique ou non, nous sommes toujours confrontés aux même problématiques : il n’y aura pas moins d’embouteillages, l’humain et le végétal ne récupéreront pas d’espace public, les mauvaises habitudes de vie liées à la sédentarisation, aux distances domicile-travail et à l’usage absurde de la voiture (environ 17% des déplacements en voiture en Belgique sont pour des distances inférieures à 1km! (4)) s’ancreront encore davantage puisqu’elles gagneront en bonne conscience … Pour Mpact, aborder la question de la mobilité sous l’angle de l’électrique ne fait que garantir la pérennisation du modèle de mobilité actuel, fondé sur la voiture individuelle.

Depuis 1975, Mpact se questionne, se remet en question, évolue, teste … afin de rendre la mobilité plus efficace et plus citoyenne. Notre conclusion est que la voiture électrique n’est pas une réponse aux problèmes de l’automobile ni de la mobilité. Pour nous, électriques ou non, tous les modèles de voitures ont un impact. Les chiffres suivants resteraient ainsi identiques, peu importe la nature du véhicule : 

  • En Belgique, 18% des trajets effectués en voiture sont inférieurs à 5km (5) (et à Bruxelles, 25% sont inférieurs à 1 km ; 37% entre 3 km et 5 km et 20% sont supérieurs à 10 km).
  • Depuis 1970, le réseau routier s’est étendu de 65% alors que le réseau ferroviaire a perdu 12% (5). Pour la petite histoire, au moment où la SNCB voit le jour, le réseau ferroviaire belge compte plus de 5000 kilomètres de voie ferrées, contre 3600 aujourd’hui!
  • La voiture est dormante puisqu’elle passe en moyenne 95% du temps à l’arrêt (6). 

Pour Mpact, la priorité est de changer notre mobilité, et pas notre voiture.

Pour Mpact, la priorité est de changer notre mobilité,  pas notre voiture. Nous faisons le pari d’une mobilité connectée qui recoupe plusieurs outils, plusieurs modes de déplacement, plusieurs sources d’énergie (y compris les gambettes!). 

La voiture est une nécessité dans nos sociétés et, pour certains trajets, elle reste le meilleur moyen de se déplacer. Une voiture bien utilisée est donc une voiture utilisée à sa meilleure capacité, et à condition qu’un trajet en mobilité partagée ne soit pas envisageable. Pour donner toutes les chances à ce trajet idéal d’exister, le politique a son rôle à jouer puisqu’il est de sa responsabilité de proposer un service public de qualité et à prix juste, de limiter les modalités qui favorisent la possession et l’usage de la voiture individuelle et de développer l’infrastructure nécessaire à la mobilité douce et partagée. 

L’autopartage et le covoiturage, en complément de toute forme de mobilité douce et des transports en commun, voilà pour nous les clés  d’une mobilité efficace, connectée, durable et citoyenne ! 

– Ophélie Ingarao, project manager en mobilité durable chez Mpact

Sources:
(1) N’hésitez pas à relire notre article sur la vision de la mobilité dans les années 70
(2) “Le temps est venu de recharger des batteries propres”, Amnesty International, 2017
(3) 
“Lithium”, Friends of the Hearth, 2013
(4) “Enquête Monitor sur la mobilité des belges”, décembre 2019, page 22
(5) 
Densité des infrastructures de transport, IWEPS, décembre 2019
(6) Plan régional de Mobilité Good Move, 2019

Pour aller plus loin :
Pierre Courbe, « Véhicules électriques ? Changer de mobilité, pas de voiture ! », Fédération Inter-Environnement Wallonie, Décembre 2010