L’urbanisme tactique, focus citoyen

A Bruxelles, comme partout en Belgique, on pratique ici et là un sport bien méconnu : l’urbanisme tactique. Il y a des équipes amateurs un peu partout (vous-même peut être sans vous en rendre compte), mais il y a aussi des sportifs de haut niveau ! Petit aperçu sur cette – pas si nouvelle –  discipline, de comment celle-ci impacte l’esprit de la ville et de tout le bien qu’on en pense chez Mpact !

(c) Beautiful Trouble

Nous nous situons en ville. Cette ville qui voit s’articuler tellement de vies, tellement de conditions, tellement d’idées. C’est au cœur de la ville, et quelque part grâce à elle, que les esprits et la force des Hommes se sont concentrés pour permettre le progrès culturel, artistique, scientifique, social… Longtemps, on y a habité sans la penser, elle se développait de facto ou d’autres la pensaient pour nous … mais aussi parfois contre nous, ou du moins à nos dépens. Le Master Plan en est un excellent exemple. D’après Jacques Teller (2017), professeur d’urbanisme et d’aménagement du territoire à l’Université de Liège, il s’agit “d’un outil d’urbanisme lié à la transposition des démarches de planification stratégique depuis le domaine de l’entreprise vers celui de la ville et de l’urbanisme ». C’est-à-dire, la ville et l’urbanisme s’adaptent aux besoins de l’entreprise. « On va les [Master Plans] voir fleurir dans l’Europe entière dans le cadre d’une série de programmes de régénération urbaine dans des espaces marqués par la désindustrialisation » (Teller, 2017). 

La ville, une affaire d’urbanistes ?

Ainsi, d’après le Larousse en ligne, l’urbanisme est un «Ensemble des règles et mesures juridiques qui permettent aux pouvoirs publics de contrôler l’affectation et l’utilisation des sols» (s.d). Comprenez : l’urbanisme est réservé à qui a un mandat politique. Ou encore «Art, science et technique de l’aménagement des agglomérations humaines» (s.d). Comprenez : l’urbanisme est réservé aux érudits. Bref, le commun des mortels n’a pas son mot à dire.

La fin du XIXe siècle donne mission à l’urbanisme d’apporter une réponse scientifiquement fondée (c’est l’époque) et techniquement efficace à l’urbanisation. Le milieu du XXe le pourvoit de dispositifs juridiques et institutionnels pertinents selon des principes que l’on retrouve un peu partout. {…} Le plus souvent, la bonne insertion institutionnelle de ces schémas et plans au cœur des processus de décision et d’administration autorise tous les espoirs de voir l’urbanisme soumettre la ville. (Tribillon, 2019, pp. 405)

Il ne s’agit pas d’un complément ou d’une branche de l’urbanisme, il est  intrinsèquement en opposition avec ce dernier. L’urbanisme tactique est réservé aux citoyens et non aux érudits ou aux mandataires. (…) L’urbanisme tactique est le fruit citoyen par excellence.

Nous vivons pourtant à une époque où l’être humain a le plus conscience de l’impact qu’il a sur  l’environnement : son environnement direct ou, à plus grande échelle, la planète. C’est là qu’intervient l’urbanisme tactique ! Il vient en réaction à cet urbanisme trop éloigné des réalités et des besoins. Il ne s’agit pas d’un complément ou d’une branche de l’urbanisme, il est  intrinsèquement en opposition avec ce dernier. L’urbanisme tactique est réservé aux citoyens et non aux érudits ou aux mandataires. Les citoyens, ceux qui se sentent concernés par le vivre ensemble, ceux qui n’y connaissent rien mais qui ont envie d’essayer, ceux qui choisissent d’y travailler, ceux qui pensent que c’est par l’exemple qu’on inspire, ceux qui choisissent d’apporter leur créativité, leur temps et leurs convictions pour la ville de demain. L’urbanisme tactique est donc le fruit citoyen par excellence. Il faut dire qu’aujourd’hui, l’engagement citoyen prend un autre visage grâce à la convergences des luttes.

On ne végétalise pas seulement parce que c’est joli, on végétalise parce que, en réponse à la crise climatique,  la végétalisation des zones urbaines est une nécessité vitale pour faire respirer la ville et respirer en ville;

On n’œuvre pas contre l’utilisation excessive de la voiture ou contre sa place dans l’espace public par zèle, mais parce que celle-ci prend le pas sur l’humain et le végétal ;

On n’organise pas la vie au sein des quartiers parce qu’on a du temps, mais parce que la cohésion sociale, la solidarité sont indispensables à notre condition d’être humain.

Changer la ville pour changer notre quotidien

Les légendes (urbaines ;-)) sur l’origine de ce mouvement sont nombreuses et tournent autour des années 90 : on parle d’une case de parking aménagée en café-terrasse à San Francisco, ou encore d’un carrefour dangereux transformé en espace de jeux et de rencontres à New York. De là, beaucoup d’initiatives ont suivi et des caractéristiques communes se sont dessinées. L’urbanisme tactique est une initiative qui émane des citoyens, non autorisée, ludique ou artistique, réversible ou temporaire et peu coûteuse (Prévot, 2020).

Les actions d’urbanisme tactique représentent des îlots de réflexion, des bulles test qui contribuent à construire et à expérimenter la ville de demain.  

Bien sûr, il est question de la réappropriation de l’espace public et de sa valorisation mais aussi et surtout d’une dimension réflexive forte. Changer nos quotidiens aliénés et effrénés ne se fera pas sans une réflexion profonde et sans changer la ville, aujourd’hui pensée pour répondre à ces rythmes déshumanisés. Ainsi, les actions d’urbanisme tactique représentent des îlots de réflexion, des bulles test qui contribuent à construire et à expérimenter la ville de demain.  

L’urbanisme tactique permet cette transformation de la ville car, au travers d’actions ponctuelles, elle ouvre la réflexion, passage indispensable pour tout changement durable : Que voulons-nous ? Que revendiquons nous ? De quoi avons-nous besoin ? Elle enraye aussi les idées reçues, les condamnations à l’impossible avec ses « Jamais vous n’arriverez à rendre cet espace piéton ». Regardez le Boulevard Anspach (Bruxelles) : 2012, premier Picnic the Streets. Moins de 10 ans plus tard, l’espace est piéton et réaménagé (quasi) intégralement. Si ce n’est pas inspirant ! Cette action elle-même inspirée de la prise de la Grand Place début des années 70, et du Streetsharing, les multiples occupations de la Place de la Bourse début des années 2000.

Picnic the Streets 09/09/2012 – (c) gvda

Dès son origine, l’urbanisme tactique avait pour objectif d’alerter la société civile et les autorités sur la place trop importante que prenait l’automobile dans l’espace public ainsi que sur ses dangers. En ce sens, il est important de mettre en garde contre la récupération politique de ce mouvement. D’une part, parce qu’il y aurait dénaturation de l’initiative qui se veut non autorisée. D’autre part, le risque est grand de voir des permis ponctuels distribués à la pelle ou des actions sauvages tolérées pour en fait éviter d’acter un réel changement dans le paysage urbain. Aujourd’hui, en région bruxelloise, l’espace public consacré à l’automobile (circulation et parking) atteint plus de 70% (Bruxelles Environnement, 2015). L’automobile consacrée dans notre société comme symbole de réussite, l’automobile comme symbole de liberté, l’automobile comme symbole de modernité. Personne n’ignore que cela n’est plus compatible avec les enjeux citoyens et écologiques d’aujourd’hui. Les gens veulent récupérer l’espace et construire le vivre ensemble. L’urbanisme tactique, c’est donc des citoyens qui ont mutualisé leurs forces et réfléchi ensemble à ce qu’ils voulaient de « Bien » pour leur communauté. On peut parler du Bien avec un grand « B », celui de Platon, c’est-à-dire le bien de celui qui s’investit dans la cité à l’utilité collective et à l’intérêt public.

Ces initiatives sont pour nous des excellents indicateurs d’un désir de changement dans les quartiers. Elles indiquent que les résidents et les citoyens sont en recherche de plus d’espace de vivre ensemble, de plus de lien, de mutualisation. Cela entre en résonance avec les valeurs de Mpact et nous encourage à continuer notre travail autour de notre leitmotiv «faire plus avec moins». « Plus » signifie une meilleure efficience énergétique, plus d’inclusion et de cohésion sociale. « Moins » signifie un coût plus bas, un impact énergétique plus faible, moins de véhicules, etc. C’est dans ce cadre que nous avons développé notre initiative Cozy24m² dont le cœur de projet est l’espace public, ici l’espace public récupéré grâce à l’autopartage via Cozycar: sa récupération et sa revalorisation pour plus d’espaces partagés et de végétal en ville. Dans cet espace sécurisé, nous prévoyons une série d’activités avec les voisins, autopartageurs, associations de quartier…. afin de s’essayer le temps d’une semaine à ce qu’ils feraient de tout cet espace récupéré (espace de débat, de rencontre, de jeu … ) et qui sait … semer des idées pour des actions futures d’urbanisme tactique. 

Cozy24m² @1030 22/07/2020 – (c): Mpact

L’urbanisme tactique ne sert pas seulement à la ville et aux citadins, il est le reflet d’une nécessité collective. Le citoyen, qui s’engage en faveur de l’urbanisme tactique, rêve d’un autre monde, et pas seulement pour la ville. Si vous aussi vous avez déjà accroché une jardinière à votre balcon en vous disant que ce serait bien de vous organiser entre voisins pour en recouvrir tout l’immeuble, car la présence de plantes réjouit les passants et contribue à l’équilibre béton-végétal, alors vous voilà urbanistes tactiques! 

– Ophélie Ingarao

Sources :